Les stratégies d’entraînement : Partie 3c
Le contrôle combiné de l’intensité métabolique et de l’intensité mécanique
Analyser son taux de lactate ou contrôler sa fréquence cardiaque sont des pratiques validées pour optimiser l’entraînement d’endurance. Ces données internes nous donnent des informations sur le fonctionnement de l’organisme à l’exercice mais il manque une pièce très importante du puzzle qui est même la base de toute les disciplines d’endurance.
Quel est l’objectif principal lorsqu’on participe à une épreuve d’endurance qu’on soit un athlète professionnel ou amateur ? La plupart des athlètes qui prennent le départ d’une épreuve d’endurance ont généralement la même ambition qui est de réaliser le ou les parcours dans un minimum de temps pour établir le meilleur chrono possible.
Alors oui on peut mesurer son taux de lactate ou sa fréquence cardiaque mais la variable qui reste centrale est tout simplement la vitesse de déplacement ! La 2ème variable, qui est toute aussi importante que la 1ère, est la capacité à maintenir sa vitesse de déplacement dans le temps. Les modèles de la performance humaine ont bien détaillé cette diminution de vitesse de déplacement avec l’allongement du temps d’effort, plus c’est long et moins on va vite, ce qui ne surprendra personne car on sait très bien qu’on roule moins vite sur un chrono de 90Km comparativement à un chrono de 20Km ou qu’on court moins vite sur un marathon que sur un semi-marathon.
Mais voilà, cette pente de relation entre l’intensité et le temps n’est pas identique pour tous les athlètes.
En effet, on peut voir que les athlètes d’endurance les plus performants sont ceux ayant cette capacité à limiter la perte de vitesse de déplacement malgré l’allongement de la durée de l’effort, c’est ce qu’on appelle « la durabilité ». Ce sujet très intéressant de la performance d’endurance sera traité en profondeur dans un prochain article car ici on va d’abord se focaliser sur le concept de puissance/ vitesse critique qui est déjà un 1er élément du puzzle qui va servir à comprendre ce phénomène de durabilité dans l’effort.
La puissance et la vitesse critique sont plus communément connues par les acronymes CP pour Critical Power (puissance critique) et CS (pour Critical Speed) correspondant mathématiquement à l'asymptote de la relation curviligne entre la puissance/vitesse et le temps. Lorsqu’on utilise CP/ CS on s’intéresse en 1er lieu à la relation liant l’intensité et le temps qui constitue un élément important de la compréhension de la performance d’endurance. Le concept est simple, plus la durée de l’exercice est longue et moins l’intensité est élevée. Cette pente de relation entre l’intensité et le temps, qui est propre à chaque athlète, permet de définir le seuil de tolérance à la fatigue et d’estimer la CP/ CS.
La CP/ CS est fortement détaillée dans la communauté scientifique avec de nombreux travaux. Une équipe de sportscientist a même récemment écrit un article (Podlogar & al, 2022) pour demander à la communauté scientifique de ne plus utiliser le VO2max pour juger de la progression des athlètes ou classer le niveau des athlètes d’endurance lors des études scientifiques mais de se servir de la CP/ CS qui serait un meilleur indicateur de la performance.
Petit point de sémantique qui a son importance car je vois trop d’entraîneurs ou athlètes utilisant mal les termes « CP-CS ». On ne dit pas « CP5, CP20 … » puisque CP (critical power) est la résultante du calcul de la pente de relation entre 2 ou 3 points de performances. Il faut plutôt parler de performance sur une durée donc « P5’, P20’ … ».
La CP/ CS n’est pas employée que dans le monde scientifique, elle est également fortement utilisée par les entraîneurs dans les disciplines d’endurance, par les équipes cyclistes professionnelles, elle a été également utilisée lors du projet Breaking 2 de Nike où Kipchoge a réalisé 1:59:40 (2’50’’/ KM) sur marathon.
Quel est l’intérêt d’utiliser la CP/ CS ?
Les différents travaux scientifiques sur la CP/ CS ont permis d’expliquer la performance d’endurance humaine à différentes durées d’exercices et de définir la CP/ CS comme une valeur étalon qui représente le seuil entre l’exercice à un état stable et non-stable. En terme scientifique la CP/ CS correspond à la puissance ou vitesse maximale à laquelle il n’y a pas de dérèglement progressif de l'homéostasie de la cellule musculaire induit par le métabolisme. Sur le terrain la CP/ CS représente le seuil de tolérance à la fatigue car lorsqu’on dépasse la CP/ CS la fatigue apparait soudainement et on ne peut pas tolérer un exercice à une intensité supérieure à la CP/ CS sur une longue durée.
En A on peut voir que le VO2 reste stable à CP/CS mais qu’il dérive vers son maximum lorsque l’intensité est supérieure à CP/ CS
En B on peut voir un taux de lactate qui augmente légèrement à CP/ CS mais augmente très fortement à une intensité supérieure à CP/ CS
En C on peut voir qu’au-dessus de CP/ CS la valeur de phospo-créatine baisse avec en parallèle une augmentation du Pi et une baisse du pH
En D on peut voir qu’au-dessus de CP/ CS la fatigue musculaire se développe très rapidement et impose un arrêt rapide de l’exercice
La CP/ CS est l'intensité finale à laquelle la consommation d'oxygène peut atteindre un état stable, au-dessus de la CP/ CS la consommation d'oxygène continuera d'augmenter jusqu'à ce que le VO2max soit atteint. Lorsque l’intensité est stabilisée en-dessous de CP/ CS, on peut « théoriquement » soutenir un effort prolongé dans le temps. A l’inverse, lorsque l’intensité est supérieure à la CP/ CS, il n’y a pas de stabilisation des variables métaboliques ce qui aboutit à l’épuisement. La CP/ CS serait donc un moyen d’évaluer l’état d'équilibre métabolique maximal (MMSS).
Le MMSS représente ainsi le taux métabolique le plus élevé qu’on peut maintenir presque exclusivement par le métabolisme oxydatif durant l’exercice. Lorsque l’intensité de l’exercice dépasse le MMSS, il y a une utilisation accrue des fibres rapides (Type II), l’utilisation et l’épuisement des sources d'énergies non oxydatives (glycolyse, PCr) ainsi qu’un taux d'apparition de Lactate qui dépasse continuellement son taux de disparition dans le sang.
Vous l’aurez compris, le concept du MMSS est un paramètre qui permet de comprendre l’énergétique musculaire de l’athlète, le seuil de fatigue et comment repousser les limites de la performance d’endurance. Il représente aussi un outil précieux pour déterminer les domaines d’intensité et prescrire les intensités d’entraînement personnalisées.