Dans la précédente newsletter je vous ai présenté le contrôle de l’intensité d’entraînement comme une clé importante pour améliorer le processus d’entraînement en endurance. Je me suis essentiellement axé sur le contrôle de l’intensité utilisant la mesure du lactate sanguin permettant d’avoir un aperçu de ce qui se passe réellement dans l’organisme et de l’ampleur du stress métabolique interne.
Mais voilà, tout le monde n’a pas accès à un analyseur de lactate, il faut compter environ 500€ pour s’en procurer un, ou les moyens pour acheter régulièrement les réactifs. Pour l’appareil Lactate Scout 4 il faut débourser 189€ pour 72 bandelettes soit 2,62€ la bandelette, faite le calcul si vous utilisez 10 bandelettes/ semaine le budget est de 26,25€.
Il faut également savoir que le lactate sanguin durant l’exercice est une valeur hautement reproductible permettant un bon contrôle de l’intensité mais sa réponse peut être perturbée par différents facteurs qui rendent son interprétation pas aussi simple qu’il n’y parait. Voici quelques limites importantes à connaitre avant d’utiliser le dosage du lactate sanguin pour contrôler l’intensité d’exercice :
Nous n’avons pas tous la chance d’avoir un entraîneur à nos côtés pour effectuer les prélèvements, ce qui pousse les athlètes à s’auto-tester durant les séances d’entraînement. Mais s’auto-tester en outdoor est complexe car il est impératif d’utiliser des gants, du désinfectant et des compresses pour nettoyer le doigt ou le lobe de l’oreille afin d’éviter de polluer les données par la sueur qui fausseraient la concentration de lactate sanguin. Imaginez-vous transporter ce matériel durant une séance de vélo ou de course pied ?! J’ai fait des essais lors d’une séance vélo en outdoor, la mesure du lactate sanguin n’est vraiment pas simple ! Déjà il faut s’arrêter de rouler, quand on roule entre 30 et 40Km/h on met un peu de temps, ensuite on doit s’arrêter dans un lieu sécurisé par rapport à la circulation, il faut sortir tout le matériel, nettoyer le doigt/ l’oreille, piquer, faire sortir la 1ère goute de sang puis re-nettoyer et sécher avant de faire le prélèvement. J’attire également votre attention sur le fait que lorsque vous procédez à des auto-tests, il faut bien nettoyer et sécher votre doigt ou votre oreille car il y a une concentration élevée de lactate dans la sueur qui peut augmenter le taux de lactate sanguin. Personnellement je trouve ça fastidieux de s’auto-tester en outdoor et pas évident à mettre en place sous forme de routine. A la rigueur lors des séances d’entraînement en indoor c’est un peu plus accessible et ça perturbe moins la session d’entraînement.
Il est important de comparer ce qui est comparable ! Si vous mesurez le taux de lactate sanguin durant une séance HIT qui a lieu le lendemain d’une longue session d’entraînement ayant réduit le stock de glycogène alors le taux de lactate sanguin sera plus bas que lors d’une séance HIT réalisée le lendemain d’une séance courte à basse intensité ou d’un jour de repos. Si vous réalisez une séance avec un apport élevé en glucides, alors le taux de lactate sanguin sera certainement plus élevé. Lorsque vous réalisez une séance d’entraînement sur une longue durée, il va se produire une diminution des concentrations de lactate sanguin qui se produit par une réduction du glycogène musculaire et une diminution de la glycogénolyse. Cette même séance réalisée sous la chaleur, durant laquelle le volume du plasma va diminuer d’environ 10%, va augmenter la concentration du lactate sanguin même si la quantité totale de lactate circulant est en fait la même. Et là je ne vous cite que quelques exemples de situations d’entraînement qui peuvent vous amener à comparer des données qui ne sont pas comparables ou réaliser de mauvaises interprétations.
La détérioration de l’état de forme de l’athlète peut réduire le taux de lactate. Dans ce cas, la baisse du taux de lactate sanguin pour une intensité similaire pourrait être interprétée à tord comme une amélioration du statut d’entraînement alors qu’en réalité il s’agira d’une détérioration de son état de forme. Cette baisse du taux de lactate sanguin peut venir d’une déplétion glucidique entraînant une réduction du flux dans les voies glycolytiques associée à une diminution des catécholamines (adrénaline, noradrénaline et dopamine).
Les dommages musculaires peuvent également affecter le taux de lactate sanguin en augmentant sa valeur.
Une dernière chose sur la mesure du lactate sanguin qui a quand même son importance. Même en ayant de l’expertise dans la mesure du lactate sanguin, il faut savoir qu’il y a une erreur analytique technique compris entre 0,2 et 0,4 mmol/ L (Bonaventura & al, 2015). Prenons l’exemple d’un athlète souhaitant réaliser une séance à 2mmol/ L pour améliorer son efficience mitochondriale, il pourra obtenir une concentration de lactate sanguin de 2,4 mmol/ L qui sera en réalité de 2 mmol, cette erreur analytique va le pousser à réduire son intensité d’entraînement alors qu’en réalité il était dans le bon range. Il faut également tenir compte de la fiabilité de la mesure du lactate sanguin (cf. Point sur l’auto-test), combinaison entre la variation biologique et l'erreur analytique, durant une session d’entraînement sub-maximale qui est comprise entre 11 et 52% (Saunders & al, 2004).
A la lecture de ces différents points vous vous rendez compte qu’il n’est pas si simple d’utiliser la mesure du lactate sanguin pour contrôler les intensités d’entraînement. On a démocratisé (médiatisé) cette mesure mais il faut être prudent et ne pas surinterpréter l’importance de la mesure du lactate sanguin durant toutes les séances d’entraînement.
D’un coup j’ai déconstruit un peu tout l’argumentaire que j’ai développé dans la précédente newsletter sur l’intérêt de mesurer le lactate sanguin pour contrôler l’intensité des entraînements afin d’améliorer les performances d’endurance.
A ce stade il est important de préciser que je ne suis pas contre le contrôle de l’intensité d’entraînement par la mesure du lactate sanguin que je juge intéressant mais il faut l’utiliser comme un contrôle ponctuel sur des séances ciblées et standardisées permettant de réaliser des analyses comparatives plutôt que de systématiser les mesures sur toutes les séances en risquant de mauvaises interprétation.
Actuellement on présente la mesure du lactate sanguin comme un indice majeur, le «Gold Standard », pour estimer et contrôler les intensités d’entraînement, certains entraîneurs ou athlètes vont même jusqu’à penser (dire) que c’est l’indice ultime et unique pour s’améliorer dans les sports d’endurance. On voit bien que ce « Gold Standard » à plusieurs limitations d’usages ! De mon côté, je serais plus nuancé sur le sujet car je ne crois pas à l’indice unique mais plutôt au croisement des données et à l’utilisation combinée d’indices internes (Lactate + FC) avec des indices externes (puissance ou vitesse). La mesure du lactate sanguin ne doit pas remplacer la surveillance de la fréquence cardiaque (FC) ou l’utilisation de la puissance-vitesse, elle doit venir en complément. La FC reste un indicateur central du stress physiologique, on peut voir une relation étroite entre l’augmentation de l’intensité (puissance/vitesse), la FC, le lactate ou même l’oxygénation musculaire.
Lorsque l’intensité (puissance ou vitesse) s’élève il y a conjointement une augmentation du taux de lactate sanguin ainsi que de la valeur de FC.
On voit la même relation lorsque l’on suit l’oxygénation musculaire, plus l’intensité augmente et plus la FC s’élève avec en parallèle une diminution de l’oxygénation musculaire.
Ces différents éléments nous indiquent que si avez effectué un bon profilage physiologique, vous pouvez utiliser la FC durant les séances d’entraînement sans forcément avoir recours systématiquement au dosage du lactate sanguin. Contrôler son intensité d’entraînement avec la FC fonctionne très bien et surtout c’est bien plus pratique à utiliser durant les entraînements que la mesure du lactate sanguin car vous avez une vue continue sur l’évolution de la FC durant la séance. Lorsque la valeur de FC est trop élevée ou trop basse, vous pouvez agir directement en adaptant votre intensité alors que la mesure du lactate sanguin ne se fait pas en continu, elle est limité à des prises qui vous oblige à vous arrêter et interrompre la séance d’entraînement. Pour ma part, je ne remplacerais jamais l’utilisation de la FC par le dosage du lactate sanguin qui doit amener un complément mais pas être systématique.
Je dis souvent aux athlètes que le meilleur indice est celui qu’on peut utiliser facilement en routine durant les séances d’entraînement. La FC, la puissance ou la vitesse répondent bien à ce critère d’accessibilité alors que je suis plus réticent pour la mesure régulière du lactate sanguin.