Ces dernières années, le nombre d’études sur la durabilité de l’effort n’a cessé d’augmenter. Ce « 4ᵉ paramètre » vise à expliquer pourquoi deux athlètes aux paramètres physiologiques similaires (VO₂max, seuil de lactate, coût énergétique) peuvent produire des performances radicalement différentes sur de longues épreuves. Ces travaux offrent aux entraîneurs de précieuses clés pour comprendre le métabolisme lors d’efforts prolongés et ainsi optimiser ce que l’on appelle la durabilité – également désignée comme la résilience physiologique et psychologique.
La durabilité est une notion extrêmement complexe, englobant divers déterminants tels que :
Le VO₂max
L’oxydation des substrats énergétiques
La fatigue neuromusculaire
La thermorégulation
Le cerveau et la cognition
La motivation
La résistance mentale à la douleur
… et bien d’autres. Rien n’opère de façon isolée dans l’organisme : tout se passe en synergie. Pour appréhender les événements métaboliques ayant un impact sur la durabilité, il faut adopter une approche intégrée de la physiologie.
La durabilité (ou résistance à la fatigue) désigne la capacité d’un athlète à maintenir son niveau de performance malgré l’accumulation de fatigue au cours d’un effort prolongé. Autrement dit, il s’agit de voir quand et dans quelle mesure les paramètres de performance commencent à se dégrader avec le temps. Ce concept a été formellement défini par Maunder et ses collègues en 2021 comme « le moment d’apparition et l’ampleur de la détérioration des caractéristiques physiologiques au cours d’un exercice prolongé ».
D’un modèle empirique à un modèle scientifique
Depuis 2012, je m’intéresse à la durabilité – que j’appelais alors « le seuil de tolérance à la fatigue ». Sur le terrain, j’ai constaté que des athlètes présentant de hautes puissances ou vitesses sur des tests de 5 ou 20 minutes n’étaient pas systématiquement plus performants que des athlètes avec des valeurs plus basses lors d’efforts prolongés (>4 heures). Face à cette observation, j’ai réorienté mes entraînements en privilégiant des efforts de plus longue durée et en accordant moins d’importance au développement du VO₂max. Ce changement de paradigme a radicalement transformé mon approche, et je ne le regrette pas du tout. Depuis, j’évolue constamment pour améliorer la durabilité, en misant sur :
Une augmentation progressive du volume d’entraînement,
La transition d’une stratégie High Carb à une approche de périodisation nutritionnelle type Train Low – Race High, afin d’optimiser l’oxydation des graisses et préserver le glycogène musculaire.
Pierre après pierre, on construit un athlète plus performant et plus résistant, tout en favorisant une meilleure santé et une flexibilité métabolique accrue. Pour un entraîneur, il est essentiel de savoir évoluer et se remettre en question pour toujours progresser, dans l’intérêt de ses athlètes.
Depuis ce tournant en 2012, mon intérêt pour l’amélioration de la durabilité n’a cessé de croître, et je prends un grand plaisir à lire les récentes études scientifiques sur le sujet. Toutefois, il est crucial de nuancer ces résultats en fonction des disciplines : la durabilité en cyclisme diffère de celle observée en marathon ou en triathlon longue distance. Les stratégies d’entraînement et les approches nutritionnelles ne sont pas interchangeables entre ces sports.
En cyclisme, la victoire se joue souvent en fin de course, et la capacité à maintenir une puissance élevée sous fatigue est déterminante. Ainsi, il est judicieux d’inclure des séances à haute intensité après une phase de pré-fatigue. Par ailleurs, une approche nutritionnelle « HighCarb » (≥90 g de glucides/h) en fin de course est essentielle pour soutenir un effort supérieur au seuil de lactate, car la production d’ATP – molécule clé pour la contraction musculaire – dépend largement de l’oxydation des glucides. Chez les cyclistes professionnels, la durabilité est un facteur déterminant pour remporter la victoire. Des études de terrain sur les courses de plusieurs heures montrent que les meilleurs coureurs sont ceux qui parviennent à maintenir des puissances élevées malgré une charge de travail accumulée importante. Par exemple, une analyse de Van Erp et al (2021) a révélé que les cyclistes de très haut niveau voyaient leur profil de puissance décliner beaucoup moins après 1500 à 2000 kJ de travail (soit l’équivalent de 1.5 à 2 heures d’effort soutenu) que des cyclistes de niveau inférieur. Concrètement, après une même dépense énergétique d’environ 35 kJ par kilogramme de poids corporel (≈ 2500 kJ pour un athlète de 70 kg), les coureurs WorldTour étaient encore capables de produire des puissances nettement supérieures sur des efforts allant de 30 secondes à 30 minutes, comparé à des coureurs de niveau Pro Continental. Cela indique une meilleure résistance à la fatigue chez l’élite, qui peut faire la différence dans le final d’une course épuisante. À l’inverse, un cycliste moins durable verra sa capacité de sprinter ou de grimper chuter davantage en fin d’épreuve, le rendant moins compétitif malgré des performances similaires à frais reposé.
À l’inverse, en triathlon longue distance, l’athlète évolue généralement à une intensité stable proche du premier seuil (pour les Ironman) ou entre les deux seuils (pour les half-Ironman). Dans ce cas, une consommation élevée de glucides n’est pas souhaitable. L’objectif est plutôt d’optimiser l’oxydation des graisses afin de préserver les réserves de glycogène et les mobiliser de manière efficace tout au long de la course. Les entraîneurs constatent que le temps du marathon en Ironman est typiquement 10 à 20 % plus lent que le temps sur un marathon sec équivalent, la fourchette basse étant observée chez les athlètes les plus entraînés. Grâce à un entraînement fortement axé sur l’amélioration de la durabilité – en optimisant l’oxydation des graisses tout en préservant l’utilisation efficace des glucides – nous avons, avec Steven GALIBERT, réussi à réduire d’environ 4 % l’écart de temps entre le marathon sec et le marathon Ironman (2:30:21 contre 2:36:18).
Sur un marathon couru à une intensité comprise entre le LT1 et le LT2 – ou proche du LT2 – il est essentiel d’assurer un apport adéquat en glucides (environ 60 g/h), tout en favorisant une bonne oxydation des graisses pour préserver les réserves de glycogène musculaire.
Il apparaît ainsi délicat de transposer les conclusions d’une étude sur la durabilité en cyclisme à d’autres disciplines comme le triathlon, le marathon ou le trail. Il est indispensable de garder un esprit critique lors de la lecture des études scientifiques afin d’éviter de partager de fausses vérités, une dérive malheureusement fréquente sur les réseaux sociaux.
Cyclisme et durabilité
Prenons l’exemple d’une étude très récente