La Norvège (5,5 millions d’habitants) et le Danemark (près de 6 millions) sont de modestes nations scandinaves qui, pourtant, forment régulièrement des champions dans les disciplines d’endurance. Qu’il s’agisse de Jakob Ingebrigtsen, Kristian Blummenfelt ou Gustav Iden en Norvège, de Jonas Vingegaard, Jakob Fuglsang ou Helle Frederiksen au Danemark, la liste est longue — en ski de fond, biathlon, cyclisme, triathlon, running… Tentons de comprend d’où vient leur secret et surtout s’il y en a vraiment un ?
1. Une culture sportive précoce et structurée
Activité physique dès l’enfance
Dans ces pays, bouger est naturel : dès le plus jeune âge, les enfants pratiquent régulièrement du sport et bénéficient d’au moins 45 minutes d’activité quotidienne obligatoire à l’école.Organisation scolaire favorable
En Danemark et en Norvège, les cours s’achèvent souvent à 15 h, laissant du temps libre pour l’entraînement en clubs sans sacrifier les études.
2. Une préparation long terme
Un champion se forge sur au moins dix ans : développer tôt les habiletés motrices et la capacité aérobie permet d’absorber un volume de travail très élevé à l’âge adulte.
Par exemple, les juniors norvégiens (17–19 ans) courent déjà 115–145 km par semaine, un volume qui présage d’une carrière durable et performante.
3. L’écosystème scientifique intégré
En Norvège comme au Danemark, l’entraîneur ne travaille pas seul : physiologistes, data-scientists, nutritionnistes et médecins collaborent au quotidien pour :
mesurer finement chaque paramètre (lactate, fréquence cardiaque, variabilité cardiaque, etc.),
interpréter collectivement les données,
adapter rapidement le programme selon l’état de forme, la nutrition, la récupération…
4. La définition des zones et le contrôle des intensités
On connaît bien le fameux « double threshold », signature de l’entraînement norvégien. Mais avant d’en arriver à ce schéma, un contrôle très strict des intensités s’impose, fondé sur le lactate comme repère métabolique afin de maximiser le temps passé dans les zones optimales. C’est pourquoi un consensus a été établi autour d’un modèle de zones d’intensité : entraîneurs, athlètes et scientifiques disposent ainsi d’une même grille de lecture pour planifier, exécuter, analyser et comparer les séances avec rigueur et cohérence. Développé par la Fédération olympique norvégienne pour les sports d’endurance, ce modèle répartit l’effort en cinq zones, s’appuie sur des seuils physiologiques reconnus scientifiquement et offre un cadre universel.
Pourquoi 5 zones ?
Lorsqu’on définit un modèle de zones d’intensité, l’objectif est d’associer chaque zone à des indicateurs précis : % de fréquence cardiaque, perception de l’effort (RPE), recrutement des fibres musculaires, substrats énergétiques mobilisés, paramètres respiratoires, métabolisme du lactate, oxygénation musculaire, etc.
Un découpage en trois zones (Z1 : en dessous du premier seuil lactate ; Z2 : entre les deux seuils ; Z3 : au-delà du deuxième seuil) manque souvent de finesse pour cibler un processus métabolique particulier. Par exemple, distinguer une sortie à basse intensité (Z1) d’une séance en Zone 2 (dans un modèle à 5 zones) dédiée à l’amélioration de l’efficacité mitochondriale s’avère délicat : bien qu’appartenant toutes deux au domaine aérobie, la FC, l’oxydation des substrats, le RPE et le taux de lactate diffèrent sensiblement. Pour obtenir un travail vraiment spécifique, il est donc indispensable de définir des zones précises et d’employer des outils de mesure rigoureux lors des entraînements.
Pour approfondir la Zone 2, je vous recommande cet article
Zone 2 : Clé de la performance d’endurance – Adaptations physiologiques et applications pratiques
·L’entraînement en zone 2 a été popularisé par Iñigo San Millán, ancien entraîneur de Tadej Pogačar, pour expliquer la supériorité du champion slovène sur le peloton professionnel.
Les entraîneurs et chercheurs norvégiens et danois mesurent systématiquement le lactate en séance afin d’ajuster en temps réel l’intensité métabolique : en fonction de la durée, la vitesse ou la puissance ciblée peut être modifiée à la baisse pour rester dans la plage souhaitée. Cette précision méthodologique les distingue ; ils considèrent qu’une prescription fondée uniquement sur un pourcentage de vitesse, puissance ou de FC ne suffit pas.
En effet, des athlètes dotés d’un volume sanguin élevé et d’une forte proportion de fibres lentes (faible production lactique) afficheront un taux de lactate sanguin plus bas que d’autres possédant davantage de fibres rapides. Sans test métabolique complet, l’entraîneur risque de mal calibrer les zones en ignorant ces variations inter- et intra-individuelles. Par exemple, Sandbäck illustre dans un article récent comment ces différences peuvent fausser la définition des intensités.
Enfin, rappelez-vous que les zones d’intensité évoluent en fonction de l’adaptation de l’athlète.
Pour en savoir plus sur les zones évolutives
Les zones d’intensité sont évolutives
·De nombreux athlètes me demandent pourquoi la fourchette des zones d'intensité est aussi large ! Faut-il être plutôt en bas de la zone ou en haut pour réussir/ valider une séance d’entraînement ?
Lorsque vous effectuez un test en laboratoire à l’état frais, en paliers croissants, vous obtenez des valeurs propres à ce protocole. Celles-ci peuvent cependant varier en fonction des conditions d’entraînement :
État nutritionnel et hydrique
Température
Vent
Altitude
Profil du parcours (plat, vallonné)
Surface du terrain
…
Les zones d’intensité définies en pourcentage de vitesse, de puissance ou de fréquence cardiaque risquent alors de ne pas refléter l’impact métabolique escompté. Pour compenser ces écarts, les entraîneurs norvégiens et danois réalisent systématiquement des prélèvements de lactate durant les séances, en complément des données issues du capteur de puissance, du GPS ou du cardiofréquencemètre. Ils ajustent l’intensité à chaque intervalle en se basant sur la mesure du lactate, limitant ainsi l’arbitraire : le stimulus est prescrit selon la charge interne réelle, indépendamment des variations de forme, du vent ou de l’altitude.
En pratique, il ne faut pas prendre des mesures après chaque intervalle mais plutôt mesurer à la fin des 2ᵉ, 4ᵉ, 6ᵉ répétitions … ; si les valeurs sont stables (± 0,3 mmol), on peut par exemple sauter la 6ᵉ et simplement contrôler à la 8ᵉ.
Pourquoi choisir le lactate comme indice métabolique ?
Le lactate reflète avec précision la charge métabolique imposée au muscle, là où la fréquence cardiaque ou le RPE n’en captent qu’une partie. À la fois produit, carburant et messager adaptatif, il incarne mieux que tout autre indicateur la charge interne réelle. En plaçant le lactate au cœur de la régulation de l’intensité, comme le font les entraîneurs danois et norvégiens, on peut cumuler un volume élevé de temps d’entraînement « utile » tout en maîtrisant la fatigue : c’est le levier principal pour repousser durablement ses seuils et, in fine, améliorer la performance d’endurance.
En effet, le lactate joue un rôle clé de « carburant » musculaire via le lactate-shuttle et agit comme une véritable « lactormone », déclenchant des voies de signalisation cellulaire (PGC-1α, SIRT-1/3, HCAR-1) qui renforcent la biogénèse mitochondriale.
5. Distribution des intensités d’entraînement (DIE)
C’est le scientifique norvégien Stephen Seiler qui, en 2006, a popularisé la notion de polarisation après avoir analysé les carnets d’entraînement des athlètes d’élite de Norvège. Depuis, on observe une évolution vers un profil « pyramidal » au sein d’un modèle à trois zones :
Zone 1 (LIT) – environ 85 % du volume total : travail aérobie facile et continu (« easy & steady »)
Zone 2 (MIT / threshold) – 12 à 13 % : effort modéré, autour des seuils lactate LT1‐LT2
Zone 3 (HIT) – ≤ 3 % : haute intensité, séances courtes et très exigeantes
Profil pyramidal : prédominance du LIT, quantité maîtrisée de travail au seuil et très faible proportion de HIT.
Dans le modèle norvégien, les entraîneurs de triathlon privilégient souvent les séances au seuil (LT1-LT2) en vélo et en course à pied, tandis qu’ils réservent la haute intensité (HIT) principalement à la natation ou au vélo, dans un objectif de prévention des blessures.